mercredi 27 mai 2020

Du haut de nos privilèges




Je ne sais pas bien où ira ce post, mais il veut sortir depuis un bout de temps.
J’ai un souci. J’ai un souci avec le monde du « développement personnel » actuel. Surtout depuis le début de la crise de la COVID.
J’ai un souci parce qu’en même temps que je m’éduque spirituellement, je m’éduque socialement. Et que ces deux mondes clashent, et pas à peu près.

Il y a un truc qui n’est pratiquement JAMAIS pris en compte dans le monde du développement personnel francophone : les privilèges. Le fait que l’écrasante majorité des discours s’adressent à des gens jeunes, en bonne santé, mince, blancs, riches, éduqués. Et que même lorsqu’il y a des ouvertures, ça vient toujours de personnes privilégiées et donc avec des injonctions au mieux maladroites, au pire discriminantes. Et vous savez comment je sais que cette réflexion va dans le bon sens? Parce que la majorité des privilégiés concernés qui lisent ça sont en train de se dire «bah non, moi, je fais pas ça».

Des exemples, parmi tant d’autres qui me parlent fort en ce moment. 
Une des injonctions qui revient le plus souvent c’est que l’on est responsable de nos réactions et qu’elles devraient être indépendantes du monde extérieur. Super à faire lorsque la vie va bien ou au moins qu’on a les moyens matériels de base pour se concentrer là-dessus.  Mais qu’en est-il des gens qui doivent au quotidien se battre, utiliser toute leur énergie pour se nourrir, se soigner, survivre? Est-ce que l’on peut arrêter de mettre TOUTE la responsabilité du bien-être sur l’individu et admettre que le « bonheur » n’est pas accessible à tous tant que notre modèle social actuel et les inégalités qui en découlent sont ce qu’ils sont? Il ne faut pas la même dose d’énergie à un chef d’entreprise et à un itinérant pour méditer. Et il est peut-être temps qu’on l’admette plutôt que de dire que c’est JUSTE une question de volonté. Et surtout qu’on fasse quelque chose.

Depuis le début du confinement, vous avez lu (ou écrit) combien de fois qu’il fallait en profiter pour « faire des choses qui vous nourrissent », « le prendre relax », « en profiter pour passer du bon temps » « slow toute ». Mais nous rendons-nous compte que pour beaucoup de monde, le quotidien n’a pas de place pour ça? Mon exemple à moi c’est que je suis mille fois moins disponible depuis le début du confinement alors que je n’ai pas de problème matériel? J’ai un toit, de la nourriture, un époux à la maison, la santé. Et pourtant je suis BRULÉE et je ne me reconnais pas dans les injonctions à « s’occuper de soi-même ». N’est-il pas de notre responsabilité en tant que communauté de donner des outils pouvant servir à prendre soin de nos plus précaires, de nos plus isolés plutôt qu’à se regarder aller le nombril en partageant des recettes de smoothies? (remarquez que l’un n’empêche pas l’autre, mais l’un me paraît plus important que l’autre d’un point de vue de l’humain)(hachetague : CHSLD)

Puis avez-vous remarquez que dans la vague minimaliste-Marie Kondo, les gens qui adhérent sont majoritairement des gens riches? L’explication me paraît évidente. Sans argent, on n’a pas les moyens de se débarrasser de ce que l’on n’utilise pas, parce que si un jour on en a besoin, bah en aura peut-être pas les moyens de le racheter ou le tissu social qui nous permettra de l’emprunter. La peur du manque. La peur du manque n’est presque jamais adressée dans le développement personnel sauf pour dire que ce n’est pas une réalité. Alors que parfois, ça l’est.

Des exemples comme ça, j’en ai des dizaines (y compris mes comportements à moi, on est bien d’accord) : des cas d’appropriation culturelles. De « call out » justifié qui s’est terminé en boudage, de refus de remise en question.

« On » essaye de rendre le développement personnel inclusif, mais force est de constater qu’on échoue. Lamentablement. On essaye de le faire de notre place de privilégiés et on ne souhaite absolument pas mêler le développement personnel à la politique et au social. 
Pourquoi? Parce que ça serait extrêmement inconfortable pour nous de le faire. 

Or, mon avis c’est qu’il est temps que la spiritualité d’ici ose se politiser et se battre contre les inégalités. Lorsque les problèmes d’égalité hommes-femme, de racisme, de revenu minimum de base, de soin de santé, de LGBTQ+ phobies, de validisme et tout ce que j’oublie seront pris en compte, alors à mon sens on pourra avancer et le développement personnel sera à portée de tous et non pas juste de nous, la poignée de privilégiés.

J’ai conscience de la problématique de ce que je viens d’écrire : 1/ je n’ai pas de solution concrète à grande échelle à apporter à ma réflexion (encore)(enfin si, mais torpiller le capitalisme, cramer le patriarcat et annihiler le populisme me paraissent peu faisables à court terme) . 2/ étant moi-même privilégiée, de quel droit je m’approprie la parole? De quel droit je vole un espace qui ne m’appartient pas?
Je ne suis pas complètement déconstruite, Je suis privilégiée. Sauf que je le sais. Et j’aimerai juste lancer une réflexion si je le peux. 

Puis surtout avoir votre avis, à vous qui me lisez.
Parce qu'on peut faire mieux. Parce qu'on doit faire mieux.

Est-ce que ça résonne? Est-ce que vous réfléchissez à tout ça? Est-ce que vous le vivez?


6 commentaires:

  1. Merci ! Tu mets les mots sur ce que je pense globalement du développement personnel. Une copine m'avait donné ce lien il y a peu, car je n'arricais pas à mettre des mots sur mon malaise, ce visionnage m'a fait du bien : https://www.youtube.com/watch?v=6aWaC4HUJJ8

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  2. Ce n'est pas la réponse la plus complète que je pourrais donner mais c'est un début de piste:

    Je sens que c'est un texte dans l'air du temps avec la multiplication des études sociologique où l'on découvre, nomme, étudie, identifie et défini les oppressions, les oppositions et les nombreuses facettes de la violence et du non respect se la vie...

    Malgré tout, je crois que la spiritualité n'est pas obligée d'être du développement personnel et que le developpement personnel actif et conscient selon des methodes et des enseignements n'est pas meilleur ou pire que celui qui vit sa vie, confronte les défis et qui en arrache.
    Les gens non privilégiés ne sont pas moins spirituels et vivent probablement la spiritualité à leur manière et chacun suit son chemin et chacun vit d'une certaine manière son karma. Chacun est là où il a quelque chose à expérimenter de l'existence aussi cruel cela puisse paraître. Je ne dis pas qu'il ne faut rien faire et laisser les gens dans leur misère bien loin de là.
    Nous avons tous un rôle à jouer dans la vie des autres et nous sommes tous à un moment ou un autre celui qui souffre et celui qui fait souffrir et il faut en prendre conscience et surtout en prendre responsabilité.

    Ce que je perçois fondamentalement dans ce message c'est un appel à la conscience des autres et la compassion.
    Un appel au principe d'Ahimsa celui de la non-violence et du respect de la vie, celui de la bienveillance.

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    1. Bonjour Simon,
      il y a quelque chose qui me chiffonne profondément dans la manière dont vous avez interprété mon texte. Je n'ai absolument sous entendu que les gens moins privilégiés avaient une vie moins remplie ou invalidé leur parcours spirituel, au contraire je ne pense vraiment pas que vous ou moi soyons en mesure d'en débattre n'étant -a priori- pas concernés directement.
      Mon point de vue est le mien, celui du coté des "profs" et de la prise de conscience que notre discours, nos outils, notre manière de faire ne sont pas accessibles à toutes les personnes qui voudraient y avoir accès. Pas de "white saviour" ni de propagande, et encore moins l'impression d'avoir trouvé la seule et unique voie spirituelle, bien au contraire...
      J'essaye de prendre conscience de mes privilèges et d'amener du politique dans notre communauté qui à l'air d'y voir un gros mot.
      Mais j'ai conscience que ce n'est pas confortable pour nous de faire face à ceci, puisque nous sommes les oppresseur.e.s, et c'est bien là le point.

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  3. Merci pour cet appel à la conscience. Je rejoins Simon sur ce qu'il exprime, sans aller dans l'interprétation karmique (qui est une grille de lecture parmi d'autres), il me semble que la spiritualité et le développement personnel sont des choses à séparées et que ce qu'on voit aujourd'hui dans la mode du développement personnel s'adresse évidemment à des gens privilégiés (au moins sur l'axe du confort matériel), car cela vient combler des besoins plus hauts sur la fameuse pyramide de Maslow.
    Lorsqu'on n'a pas déjà comblé ces besoins de sécurité/nourriture/logement, on ne va généralement pas à des ateliers de danse extatique à 1500$ la fin de semaine. De fait le discours sera plutôt orienté pour des personnes aisées.

    Je pense que des appels de ce genre sont très bienvenus pour rappeler aux gens de regarder autour d'elleux et si possible aider les personnes moins favorisées. Et chacun.e de trouver le meilleur moyen de contribuer à changer les choses à hauteur de ses possibilités :)

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    1. Ma définition c'est que le développement personnel regroupe tous les outils "actifs" que l'on utilise pour découvrir/prendre soin/explorer sa spiritualité de manière laïque.
      En cela, dans mon texte les 2 ne sont pas séparable, puisqu’il s'agit de faire prendre conscience du fait que l'on ne peut s'occuper activement de sa spiritualité de la même manière si l'on est en haut de l'échelle des privilèges ou si, comme comme vous l'avez dit, nos besoin de base ne sont comblé ET/OU si nous nous battons quotidiennement contre des discriminations systémiques.

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Un commentaire choupi, et une petite signature, histoire de savoir qui me parle. Merci :)